Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Les Warriors de Yayème !
26 juillet 2015

Rencontre, rends toi conte !

L’une des voyageuses, Rose-Anne, avait pour projet de créer un conte sur le thème du voyage initiatique, en s’appuyant sur les témoignages des volontaires et de sénégalais. Le voici :

Corto _Son Dgieridoo, 3 fois

Mon réveil sonne, comme chaque matin, je suis fatigué. Chaque soir avant de me coucher je ferme les volets de ma chambre pour qu’aucune lumière ne passe et ne vienne me sortir de ma nuit. J’entends la pluie tomber, je n’aime pas la pluie, elle me donne envie de rester au fond du lit.

D’ailleurs je n’ai pas de raison de me lever. J’éteins mon réveil et me rendors.

-

Je suis un toubab, qui vit dans une ville de toubab. Environs 500 000 toubabs élevés hors sol. Je vis seul dans un appartement d’un immeuble de 5 étages. Je ne connais pas mes voisins, à gauche, à droite, au dessus et en dessous de moi. Depuis ma fenêtre j’entends l’agitation de la rue. Les klaxons des voitures qui à la queue leu-leu sortent de la ville pour rejoindre leur lieu de travail. Un toubab en costume cravate par voiture.

 

Chloé_Chant

 «T'es beau, 
T'es beau parce que t'es courageux, 
De regarder dans le fond des yeux,

Celui qui te défie d'être heureux.

T'es beau,
T'es beau comme un cri silencieux,
Vaillant comme un métal précieux, 
Qui se bat pour guérir de ses bleus. »
 

 

Je mets ce monde sur pause. Je respire. Je ne me reconnais plus, je me sens déconnecté.

Ma joie de vivre m’a quitté depuis que l’on me rappelle que je suis adulte.

Quand je suis dehors je vois les gens courir, ils se croisent sans se dire bonjour. Ils ne se voient pas, et même s’ils se voyaient ils diraient qu’ils n’ont pas le temps.

Tu peux les observer, ils s’évitent à chaque coin de la rue, dans les transports publics, dans une salle d’attente, dans l’escalier d’une résidence.

Leur regard est vide, ils se cachent dans leur tête, parce qu’ils ont bien trop de choses à penser.

Je me sens enfermé dans une vie toute tracée.

Je me sens extérieur à moi-même,  ils m’ont fait selon leur image. On m’a mit le goudron sous les pieds.

Ils m’ont endormi avec leur certitude sur l’avenir. Je dois me réveiller, casser les murs pour voir le monde tel qu’il est sans oeillères. Je veux vivre des choses imprévisibles, qui me bousculent dans ma manière de faire et d’être.

Je sais que je dois lâcher prise et accepter de ne pas tout contrôler.

Je veux devenir qui je suis, et ne plus avoir peur d’être.

La peur est seulement une montagne devant l’inconnu qu’il faut dépasser, cela demande un effort, mais derrière se cache un grand trésor : l’espoir, la joie de se sentir vivant.

C’est décidé, je pars escalader cette montagne !

 

Corto _Son Dgieridoo

1er Jour, Le premier pas d’un voyage de mille pas

Chant Sérère « Téléphone » par Marie et Badou

Quitter sa terre, décoller, prendre du recul : tous les repères, les maisons, les terrains, les voitures, les gens deviennent des petits points dès que l’on s’en éloigne. On est peu de choses, mais ensemble on forme un tout : le monde.

On traverse les nuages, tout est blanc, je pense à la vie avant sa création même. Une page blanche, où tout est à faire et à imaginer.

Je pars à la recherche de « Yawyem » qui signifie « l’envie de voir la beauté ». C’est un village dans le sud dont on ma beaucoup parlé quand j’étais petit. On m’a dit que là-bas les gens cultivent la paix et respectent leur environnement. Pour beaucoup de toubabs c’est une légende.

Pour moi c’est un rêve que je veux réaliser.

Ici commence mon voyage, à la première page du livre.

-

L’Escale, le lien entre 2 mondes. J’ai l’impression d’être entre deux pôles, le nord et le sud. Je suis au croisement des départs, des arrivées, des passages.

4 heures d’attente. Le temps me paraît long. J’attends sur un canapé en face de la porte d’embarquement.

Un homme de peau noire vêtu de bleu s’assoie à côté. Il est du sud. Le contact est immédiat, son regard encerclé de lunettes est captivant et je me sens pris par l’échange de nos paroles. J’oublie le temps.

Nous parlons des informations qui diffusent la peur et qui empêchent les gens de sortir. Il vaut mieux se méfier des autres et s’enfermer à double tour entre ses 4 murs. Les images des télévisions disent « Dehors, c’est dangereux ». Alors ne sortez plus.

Il me dit qu’il a beaucoup voyagé à travers les pôles pour connaître. Mais il me confie aussi que pour rien au monde il ne vivrait ailleurs que dans son pays.

Qu’est ce qui fait qu’on reste ou qu’on quitte ?

Je lui dis que j’entreprends justement un voyage dans son pays. Je lui parle de « Yawyem » mon rêve, il me répond qu’il n’a jamais entendu ce nom.

A ce moment là, mon cœur se met à battre vite, je sens mon espoir me quitter.

Est-ce que ce n’était qu’un conte pour toubab ?

Il voit mes yeux se troubler, quitter le présent.

Il prend alors mes deux mains qu’il presse doucement entre les siennes et d’une voix rassurante il me dit :

« Les chemins s’ouvrent à ceux qui veulent les voir. Si Yawyem existe c’est parce que d’autres y ont cru. Crois et tu verras. »

Je suis troublé par ces mots et à la fois apaisé. Je sais que je vais devoir me faire confiance.

L’appel retentit, l’hôtesse invite les voyageurs à embarquer. L’instant passé est déjà derrière, une page se tourne.

-

Je quitte l’aéroport, cet endroit où se trouvent les portes du monde. J’ai l’impression d’avoir été téléporté,  projeté dans un nouveau monde.

Je suis parti il faisait jour, j’arrive dans la nuit. Je n’identifie plus rien, ni la peau, ni la langue, ni les gestes.

Je monte dans un taxi, j’indique la mer. Peut-être qu’elle pourra m’offrir son lit pour la nuit.

Je regarde par la fenêtre les images défiler, à la fois dépaysantes et similaires aux villes capitales. Nous roulons sur une deux voies séparée par un terre plein, des lampadaires éclairent la route. Dans la voiture Youssoun Dour à fond, le chauffeur aussi. Il suit de très près la voiture de devant. Odeur de pot d’échappement. A coté du goudron, le sable, une boutique Orange, une pharmacie, un fast food/pizzeria, une banque BICIS.

On passe sur un dos d’âne. Deux chevaux, boucherie Salam, un kiosque à chinoiserie, une femme sur un tabouret qui vend des bananes.

On entre dans un rond point, la queue de vache accrochée àa l’arrière du pare-choc balaye le sable sur le bitume. Une voiture nous coupe la route, le chauffeur jure.

La voie se rétrécie, on quitte le goudron pour le chemin de sable jusqu’à la plage.

Je descends du taxi, et la voiture repart me laissant seul fasse à la mer endormie.

Je m’assois dans le sable et pense à Yawyem, je ne sais pas par où aller.

La nuit va me porter conseil.

 

Corto _Son Dgieridoo

2eme jour, le murmure de la mer.

Chant Sérère « Téléphone » par Marie et Badou

L’eau vient me lécher les pieds. Je frotte mes yeux et mon visage plein de sable. La mer est réveillée. Un homme est dans l’eau, je l’entends crier des mots en pointant du doigt une percée de lumière à travers les nuages. Au loin une pirogue passe.

Je ressens une douce nostalgie. Je suis à la fois bousculé et apaisé. Je me sens comme au creux des vagues, bercé par les bras de la mer. Elle pourrait m’engloutir et me redonner vie.

Renaître.

La mer est pleine de contradictions, je suis fasciné par sa beauté, et en même temps j’ai peur de m’y plonger entièrement.

Elle est à la fois le lien entre les terres, et la frontière, une barrière infranchissable qui limite les espaces. Comme les vagues je fais le va et vient entre le passé et le présent. Je regarde à l’horizon d’où je viens, mes origines et dans le reflet de l’eau qui je suis maintenant.

Qu’est ce que j’ai laissé de l’autre côté. Qu’est ce que je suis venu faire ici.

Le doute s’empare de moi. Je ferme les yeux et je peux entendre la mer qui me parle comme quand on colle son oreille à un coquillage :

« Prend conscience de tes propres contradictions, ne cherche pas à voir que le bon ou le mauvais mais accepte que tout est ami et ennemi. La joie vient toujours après la tristesse. »

Je repenses alors a Yawyem, à ses beautés qui m’ont été décrites. Comment y aller, par quel chemin ?

A ce moment même, une main se pose sur mon épaule. Je bondis sur mes jambes, et me retrouve nez-à-nez avec une femme. On dirait qu’elle sort de l’eau, ses cheveux ruissellent encore. Au début je ne n’arrive pas à distinguer ses vêtements de sa peau. Elle me dit juste un mot : « Yawyem ». Alors je comprend qu’il faut que je la suive et qu’elle me guidera jusqu’au village. Elle avance devant et c’est comme si ses pieds ne laissaient aucune trace dans le sable.

Elle m’invite à monter sur sa charrette, et nous voilà partis sur le chemin pour Yawyem.

 

Chant Sérère « Ngumanoundone » par Marie et Badou

 

Je suis incapable de dire combien de kilomètre nous avons parcourus, ni combien d’heures nous avons mis.

Quand la charrette s’arrête je comprends que nous sommes arrivés à Yawyem, ce village dont on m’avait tant parlé. Nous sommes devant une cour, le portillon est ouvert.  Mon guide me tend la main pour me faire descendre. J’ai l’impression que ses cheveux et ses vêtements sont encore mouillés. Pourtant le soleil est au zénith. Je regarde la charrette partir au galop, aucune poussière ne se soulève.

J’enlève mes chaussures et j’entre dans la cour. Il n’y a personne, pourtant je me sens accueilli, attendu. Il y a une natte sous le manguier avec une calebasse remplie d’eau.

Je bois avec la soif qui m’a poussé jusqu’ici. Puis je m’allonge sur la natte à l’ombre d’un manguier.

Arrêter de courir.

Je me sens bien, je gonfle mes narines, mes poumons, mon ventre. L’air est doux, et j’ai la sensation d’être déjà venu, peut-être parce qu’on m’en a beaucoup parlé.

Je ferme les yeux. Dans mon rêve je vois un caméléon m’observer. Il reste immobile, seuls ses yeux bougent dans tous les sens. Après un moment d’attente à nous regarder, je m’étais habitué à sa présence. Nous nous sommes apprivoisés. Alors l’étrange animal se met à me parler :

« J’en ai pas beaucoup vu d’humains comme toi dans le coin, je te conseille d’être attentif à tout ce qui se passe autour de toi sans jamais oublier là où tu dois te mener. Ne cherche pas à changer ta couleur pour plaire aux autres mais adapte toi seulement en observant l’environnement dans lequel tu te déplaces.

Agit toujours avec respect et prudence : goûte le fruit avant de l’avaler. »

Après ces mots le caméléon reprend son chemin avec lenteur, sans m’accorder le temps d’une réponse.

Je me réveille en sursautant, une mangue vient de s’écraser près de mon oreille. Je remercie d’être en vie.

Ma deuxième surprise fut de me voir entouré d’une femme, d’un homme et d’enfants, je les vois sourire.

Je reprends connaissance, et je souris à mon tour. Je comprends qu’ils vivent ici.

Une main se tend, je salue, j’ai trouvé une famille d’accueil. Je ne suis plus seul.

On mange ensemble un grand plat de riz et de poisson, je remercie.

La nuit tombe, on m’installe dans une case. Un lit et une moustiquaire, je n’ai besoin de rien d’autre.

Demain j’irais découvrir le village.

 

Corto _l’appel du Dgieridoo

3ème jour, Vivre  un jour, comme si c’était le dernier.

Chant Sérère « Ngumanoundone » par Marie et Badou

Le soleil passe tôt à travers les persiennes et me lève. Les oiseaux célèbrent l’aube, le coq sonne et l’âne réclame son eau. Mam est déjà debout, elle ratisse la cour, Pape est au poulailler et les grands garçons sont au champ. C’est la saison de l’hivernage il faut planter le mil.

On me salue : « Mbaldo», j’apprends à répondre « Mbédédiam ».

Sur une petite table en bois le petit déjeuner est servi : une tasse de Nescafé au lait sucré et une demi-baguette beurrée. Est-ce qu’ils ont vu que je suis toubab?

« Prenez place ! » me lance Mam.

Après le petit déjeuner je suis prêt à partir, et à découvrir ce village dont peu de gens ne croyaient l’existence.

Avant de partir, Mam me donne une noix de coco, et me conseille de rentrer avant la nuit. Elle m’explique qu’avec la saison des pluies, au soleil couchant, les scorpions sortent et se retrouvent sur les chemins. Je lui dis que je ferais attention, je la remercie et la salue encore.

Je pars marcher dans mon rêve.

-

Musique instrumentale guitare/calebasse par Marie et Badou. Joseph_Salue le public à chaque « salue ».

Je passe au hasard des chemins, devant les cours délimitées par des barrière en rônier, les enfants se précipitent, je salue*.

Une femme lave son linge dans une bassine, je salue*.

Un homme donne du grain aux moutons, je salue*.

Je passe devant une mosquée, une école, une épicerie.

Je croise une vendeuse de poissons, je salue*

Une jeune femme porte un saut de farine de mil sur sa tête, je salue*

Trois petits cochons me coupe le passage, je salue*

* Mbaldo / Mbédédiam

-

J’arrive sur une place.

Il y a deux grands fromagers et une église. Je m’assoie sur un banc à l’ombre. Mes yeux contemplent le vide.

Quelques instants plus tard un homme avec un bonnet tricoté qui lui cache presque entièrement le regard vient s’assoire à côté de moi.

Je le salue, mais il ne me répond pas, je me dis qu’il est peut-être sourd, et peut-être même qu’il ne m’a pas vu à cause du bonnet.

Mais au bout d’un moment il finit par dire toujours le regard fixe dans la même direction que le mien :

« Tu le vois ? »

Je ne sais pas si il se parle à lui-même, ou s’il me pose une question.

Alors il reprend : « Toi, tu le vois ? »

Je le regarde, il a l’air concentré. J’hésite puis j’ose lui répondre :

« Je devrais voir quoi ? »

Il me réplique aussi sec, comme si une autre voix parlait pour lui :

« Youngar ! »

Je continue, curieux de voir où cela va me mener :

« C’est qui Youngar ?»

Il se lève et se met droit devant moi, lève les bras vers le ciel et dit :

« Youngar c’est le plus vieux baobab du village, il était là avant même qu’il n’y ait un village. Les premières familles sont arrivées à la recherche d’une terre intègre qui pourrait les accueillir. Elles ont dû d’abord s’adresser à Youngar et passer la nuit au pied de l’arbre, pour être sûres que l’endroit soit beau à vivre. ».

Il m’explique qu’il y a peu de temps Youngar est mort, mais que son esprit est là et qu’il vient souvent le voir pour se rappeler d’où il vient. Il me propose de le suivre pour rencontrer le baobab jumeau de Youngar : Nilanoto.

Il m’emmène sur une autre place, des enfants jouent avec une balle qu’ils se font passer avec une tong à la main.

Nilanoto, est au milieu, grand et puissant avec son tronc large et imposant. Il faut prendre du recul pour le voir entièrement. Je m’approche, je le touche, sa peau est pachydermique, grise, à la fois lisse et sèche, plate et noueuse. Sa morphologie est singulière, ses branches irrégulières tendent vers le ciel leurs modestes feuilles.

L’homme au bonnet, se fige, tourné vers le baobab il se met à parler d’une voix qui semble appartenir à l’arbre :

 «  Je suis le lien entre la terre, les hommes, et le ciel, les esprits. Je porte la mémoire de nos ancêtres, je porte les naissances et les morts, les blessures et les réconciliations, les peines et les joies. Je m’enracine avec l’âge, je deviens sage, je suis la source de tous les apprentis sages.».

L’homme au bonnet reprend conscience, et repart comme il est venu, sans dire mot.

Je reste là un moment à contempler l’arbre qui parle. Je suis fasciné, je voudrais devenir un baobab.

            Un toubab baobab. Je me remets en marche.

-

Je passe devant une cour. Un vieil homme est assis sur un tabouret. Il est en train de gratter la surface d’une calebasse.

Je le salue : «  Mbaldo ! », il me souris avec ses dents du bonheur et reprend aussitôt « le midi c’est « Ndioko »  et la réponse c’est « Nyongadyam »

Il m’invite à prendre place à côté de lui. Je l’observe, on dirait qu’il sculpte des motifs avec un tournevis. Je lui demande ce qu’il fait, il me répond « je réalise mon rêve ».

Il m’explique qu’il a eu une vision en passant devant un plant de calebasses. Il voyait des formes qu’il avait envie d’assembler, de transformer pour faire naître une nouvelle forme. Tout un univers s’est ouvert devant ses yeux. Alors il est rentré chez lui et il s’est mit au travail. Il me dit que dans la vie « Rien ne se crée tout se transforme », tout est là dans la nature.

Il semble songeur un moment, puis ajoute :

« Quand tu a un désir dans la vie, il faut aller au bout et se donner la chance de vivre son rêve. Au début personne ne comprenait ce que je faisais, tout ce qui est nouveau fait peur.

Le chemin n’est pas simple, parfois il faut passer par la survie pour arriver à vivre ton choix, mais est ce que ça ne te rend pas plus vivant ? »

Je souris. Je bois ses mots. Il me propose de partager le repas avec sa famille. J’accepte et lui offre la noix de coco que Mam m’avait donné avant de partir.

Après le repas, ma soif de découverte me remet sur mes jambes. Le vieil homme aux calebasses me prévient qu’il fait trop chaud encore à cette heure pour s’aventurer sous les rayons du soleil. Je lui dis que je ne crains pas la chaleur et que j’aimerais finir mon tour avant la fin de la journée. Je reprends la marche.

-

Musique instrumentale guitare/calebasse par Marie et Badou. Joseph_Salue le public à chaque « salue ».

Je passe devant une cour, une vieille femme allongée sur un lit en rônier, je salue*

Des enfants sur une calèche tirée par un âne, je salue*

Un homme avec un foulard bleu sur la tête agite un théière au dessus des braises, je salue*

* Ndioko/ Nyongadyam

-

Il m’invite à boire le thé et m’offre une place en face de lui.

Il remplit un petit verre qu’il transvase dans un autre verre vide. Il répète ce geste plusieurs fois jusqu’à obtenir de la mousse dans les deux verres. En même temps qu’il effectue ces gestes précis il en profite pour me demander :

« Où cours tu comme ça ? »

Je lui réponds que je veux découvrir et apprendre de la culture de ce village dont j’ai tant entendu parlé. Je lui dis que je veux voir comment les gens cultivent, élèvent, aiment, pensent leur vie. Je veux me nourrir de tous les apprentissages que je ferais à la rencontre des autres. J’ai soif de connaissance !

Il termine de faire la mousse, il remet le thé à chauffer, puis il me lance d’un voix toujours calme, le regard concentré sur l’eau qui bout : « Ha, et tu penses qu’un jour va suffire ? »

Je suis étonné par sa question. Pourquoi sous entend t-il que je ne suis ici que pour un jour ?

Je lui répond « Je n’ai pas prévu de partir demain, je ne sais pas encore combien de jours je vais rester ici.»

Il verse le thé dans les deux verres, et m’en donne un en me disant « bois ce thé et viens avec moi. ».

Il vide son verre en une demi-seconde, je tente de faire pareil et me brûle les lèvres et la langue. J’essaye de cacher ma grimace, mais je vois l’homme esquisser un sourire comme si il s’y attendait.

Je pose le verre sur le plateau argenté, et le suit sans savoir ou il veut m’emmener.

Bientôt le chemin nous éloigne des habitations et devant nous se dresse une forêt de rôniers.

Je continu de le suivre, sans savoir où nous allons. La chaleur devient brûlante, ma peau est en train de rougir et ma tête se met à tourner. Je donnerais tout pour boire un peu d’eau.

Il finit par s’arrêter, et soulève son bras pour s’assurer que je m’arrête en même temps que lui. A nos pieds il y a un trou profond creusé dans la terre argileuse. Au fond il y a de l’eau et sur le rebord un sceau relié à une corde.

Il m’explique toujours d’un ton calme :

«  C’est un puit sacré. On dit que si tu bois cette eau, tu verras qui tu es vraiment. Un jour un toubab est venu ici, parce qu’il avait entendu parler de cette eau, on l’a guidé jusqu’au puit, on a puisé l’eau pour lui et avant même que le saut soit remonté il s’est empresser pour boire ce qui l’a entraîné dans une chute au fond du trou. L’impatient a vu la mort dans sa descente et une fois dans l’eau il n’a vu que son reflet. Il faut croire avant de boire. »

Je reste bouche bée à l’écoute de cette histoire, je n’ose pas dire que j’ai terriblement soif, je lui demande alors ce qui est arrivé au Toubab au fond du puit. Il me répond : « Il est sortit du puit tel un nouveau né. ».

Maintenant la chaleur m’étouffe. Mes yeux tournent, mon corps bascule et je me sens tomber à terre accompagné par un bras qui retient dans le dos. Je suis évanoui, pourtant j’entends encore la voix de l’homme au foulard bleu :

« Les rencontres sont comme des sauts qui puisent l’eau de ton puit intérieur. Elles réveillent la source qui dort en toi. Bois cette eau avec humilité et respect, comme un cadeau. Alors tu te connaitras, car toutes les réponses sont en toi. »

Je me réveille, couché aà l’ombre d’un acacia. Un merle métallique s’envole en un battement d’ailes. Le soleil est descendu, un vent frais caresse les cheveux. L’homme au foulard bleu a disparu, le saut à coté du puit est rempli. Je me penche au dessus, je ne vois que l’eau et le fond du saut. Je bois ce précieux liquide et j’ai l’impression d’être la terre asséchée qui attendait la pluie. A chaque gorgée je savoure et je remercie. Un fois ma soif comblée, je verse l’eau qui reste au pied de l’arbre qui m’a protégé du soleil et dans le puit qui m’a donné à boire.

Le soleil continu de descendre, il me faut penser au chemin du retour.

Je quitte la forêt de rôniers, ces géants, droits, aux cheveux hirsutes.

Je retrouve les cours qui s’agitent avant la tombée de la nuit. A ce moment de la journée on se salue encore différemment :

« Ndiropo » / « Yarédiam»*

-

Musique instrumentale guitare/calebasse par Marie et Badou. Joseph_Salut le public à chaque « salut ».

Un femme tape le rythme au pilon et une autre veille à la cuisson du riz, je salue*.

Un chien m’aboie, je salue.*

Un homme coupe du bois à la machette, je salue*.

Un enfant nu, se verse de l’eau dessus avec un gobelet, je salue*.

-

Les chemins se ressemblent, je dois retrouver la cour de Mam et Pape.

J’arrive à un croisement. J’ai le choix entre tourner à gauche, à droite ou continuer tout droit.

Je pense aller à gauche, puis je me mets à douter et poursuis tout droit. Alors que j’avance je sens que je fais fausse route et que je m’éloigne de ce qui m’était connu. Je sais maintenant que je ne suis pas sur le bon chemin pourtant je continu d’avancer. Les  habitations s’effacent derrière moi en même temps que la nuit tombe. Je n’ai pas pensé à prendre de lampe. Je m’enfonce de plus en plus dans la brousse. Maintenant je ne distingue presque plus les traces dans le sable laissé par les charrettes. Je commence à me sentir désemparé et perdu, quand j’aperçois sur le coté au pied d’un anacardier, deux yeux lumineux. Un homme aux cheveux emmêlés est assis, tenant un bâton comme une lance. Je me demande ce qu’il attend. Je me risque à lui demander le chemin. Il se lève en silence et se met à marcher sur le chemin. Je préfère le suivre plutôt que de rester seul. La nuit est tombée, je remarque que son bâton s’est enflammé, sans l’avoir vu y mettre le feu. Il le tient comme une torche. Je marche derrière lui, et après quelques temps je reconnais le croisement où j’avais hésité.

Il s’arrête et me donne son bâton encore enflammé en disant :

« Maintenant écoute ta première intuition. », puis il disparaît dans l’obscurité.

Je m’écoute, je vais à gauche.

-

Je ne suis plus très loin, mais la voix de Mam résonne dans ma tête :

« Veille à rentrer avant la nuit car les scorpions sortent sur les chemins. ».

J’essaye de me rassurer. J’ai les pieds moites, je glisse dans mes tongs. Je presse le pas et fait de grandes enjambés espérant ne pas me retrouver face à l’animal venimeux. Dans mon affolement je m’écarte du chemin. Je suis sur un terrain vague en friche. Je m’arrête bloqué par la peur de voir derrière chaque ombre mon ennemi apparaître. Je suis envahi par la peur. Au moment où je relève la tête pour retrouver le chemin, je sens un dard se planter d’un coup sec dans mon pied gauche.

Je pousse un cri qui perce la nuit.

Je sens le venin dans mon sang qui déjà parcourt et remonte ma jambe. Je me sens engourdi.

Après l’état de choc, je me mets à me plaindre auprès du scorpion :

« Qu’est ce que je t’ai fait ? Pour quoi m’as-tu empêché de passer ? Les gens ont raison d’avoir peur de toi ! »

Je ne sais pas si ce sont des hallucinations mais j’ai entendu le scorpion me répondre, sa voix tremblait :

« Je ne t’ai pas piqué par plaisir, j’avais seulement peur que tu m’écrases. Si tu étais resté sur ton chemin et que tu ne t’étais pas arrêté nous ne nous serions sûrement jamais croisés. Je ne t’attendais pas moi, j’avais plus de raisons que toi d’être surpris. ».

Je lui explique que je ne voulais pas lui faire peur et que je pensais avoir plus de raisons d’avoir peur de lui.

Il me répond : « Ce n’est plus grave maintenant, tu ne mourras pas de ma piqûre, seulement tu trouveras la nuit longue, mais le soleil se couche et se réveille tous les jours à la même heure. Tu diras aux hommes que ce soir il va pleuvoir et que demain sera un bon jour pour cultiver. »

J’entends des pas se rapprocher. C’est quelqu’un qui court jusqu’à moi. Je préviens le scorpion de se cacher, nous nous excusons d’avoir eu peur et il disparaît dans l’ombre. C’est Pape qui est venu me retrouver, il m’a entendu crier depuis la maison. Il me demande ce qui m’est arrivée, je lui dis que quelque chose m’a piqué mais que je n’ai pas eu le temps de voir ce que c’était. Nous sommes rentrés ensemble. Toute la famille m’attendait. Je les rassure et leur dit qu’il me faut me reposer, et que je leur raconterais ma journée demain. Mam m’applique un baume secret sur mon pied, et me couche dans mon lit et me borde la moustiquaire. Je lui dis qu’il va pleuvoir. Elle sourit avec tendresse, me souhaite bonne nuit et souffle sur la bougie.

 -

Après minuit. J’entend les premières gouttes tomber, puis l’orage gronder. J’ai chaud, les fourmillements dans ma jambe gauche m’empêchent de dormir. Le vent souffle j’ai l’impression que le toît de ma case en feuilles de rônier va s’envoler. La pluie tombe encore plus fort. Dans mon insomnie je pense alors à la prédiction du scorpion, au puit, aux feuilles des arbres, à l’eau qui bout dans la théière et qui cuit le riz, à l’enfant qui se lave, aux champs de mil.

Je prends conscience que la pluie est un cadeau pour la terre, et pour les hommes et les femmes qui en vivent. Je comprends son importance et le travail complémentaire qu’elle fait avec le soleil.

Je remercie.

Et sans lutter, mes paupières se ferment.

 

Corto _Son Dgieridoo

Musique instrumentale, guitare/calebasse par Marie et Badou.

Je me réveille, j’ai l’impression d’avoir beaucoup dormi, pourtant il fait encore noir dans la case. Aucune lumière ne passe entre les persiennes.

J’entend la pluie qui offre ses dernières gouttes. Je me redresse et cherche à taton la moustiquaire pour sortir du lit. Il n’y a pas de moustiquaire, et mon matelas est surélevé. J’ai le vertige. Mon pied gauche est encore engourdi. Je tente de le mettre à terre, le sol est froid comme du carrelage. Je fais quelques pas pour atteindre les persiennes. Mais mes doigts cognent contre une vitre. Maintenant je tremble, impossible ! D’un geste fébrile, j’ouvre la fenêtre, et maintenant je reconnais les volets. Oui, j’en suis sûr maintenant. D’un coup sec je pousse les deux battants qui viennent s’abattre sur les parois du mur. Le soleil perce les nuages. Les cloches sonnent 18 coups.

Je suis chez moi, dans mon appartement au 5ème étage. Depuis quand ? Est-ce que j’ai rêvé ce voyage ?

J’entends quelqu’un qui frappe à la porte. Je sursaute, j’hésite et finalement je me précipite pour voir si cette personne pourra m’aider à comprendre. J’enfile vite un peignoir et cours vers la porte d’entrée. J’ouvre. Je ne connais pas cette personne. Elle a la peau teintée et un sourire un peu timide. Elle se présente :

« Bonjour, excusez moi de vous déranger, je suis arrivée il y a 3 jours dans la résidence et je fais le tour pour me faire connaître du voisinage. Tu es le premier qui m’ouvre la porte. »

Je lui souris et répond naturellement, comme un évidence :

« Je reviens tout juste d’un voyage, si vous voulez entrer quelques instants, je peux faire chauffer un peu d’eau, pour faire un thé. J’ai quelques histoires que je pourrais bien vous raconter…».

Son regard s’anime. Elle entre. La porte reste ouverte.

Le rêve aussi.

Musique instumentale guitare/calebasse par Marie et Badou.

Chant_Chloé :

Toi qui sors de scène, 
Sans armes et sans haine,

A présent.
T'es beau…

 

Final

Reprise chant Sérère « Ngumanoundone » par Marie et Badou

Publicité
Publicité
Commentaires
Les Warriors de Yayème !
  • Journal de bord d'un voyage au Sénégal, organisé par l'association toulousaine Via Brachy. Du 5 juillet au 31 juillet 2015, suivez les aventures, rencontres, découvertes de notre petit groupe de voyageurs et voyageuses solidaires !
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Publicité
Newsletter
Visiteurs
Depuis la création 2 347
Archives
Publicité